Il faut que la matière grise nous le dise.
Articles pour les jeunes, par les jeunes, sans oublier les neurones.
Cette rubrique aborde l'actualité, aussi folle, tragique ou réjouissante qu'elle soit. Nous accueillons aussi des analyses ou commentaires des événements récents.
Ce n'est pas de l'abus, c'est un viol !
Ce n’est pas de l’abus, c’est un viol ! Ce cri résonne dans mes oreilles; et, en retour, moi je m'égosille, essayant de faire entendre ma voix dans la foule, pendant un peu plus d’une heure. Il y a d’autre chants : si c’est machiste, c’est pas de la justice ! S’ils touchent à une, ils touchent à nous toutes ! En directe d’Espagne, pays révolté par la décision juridique publiée ce jeudi à Navarre concernant l’agression sexuelle d’une adolescente de 18 par cinq garçons lors de la fête de Pampelune en 2016.
Soyons clairs : tel que moi je le vois, c’est un gang-rape d’une très jeune
femme par cinq mecs. Selon les réseaux féministes, ils se sont mis d’accords
sur leurs intention avant l’acte, dans un group WhatsApp appelé “le troupeau
de loups”. Ils ont enregistré des vidéos. Ils l’ont pénétrée par les les trous. Ils
lui ont volé son portable une fois qu’ils avaient fini. Mais, selon les preuves
(voir le résumé des preuves qu’a fait El Pais) et l’avis des juges, la femme avait
consenti et c’était donc un “abus sexuel en continu”. Et non pas un viol. Ils ont
pris neuf ans chacun avec 5 ans probatoires à la sortie de prison. Au lieu des
22 ans demandés. La différence ? La victime, terrorisée, ne se débattait pas,
sur les vidéos que ces jeunes hommes ont pris soin d’enregistrer. Une des
pancartes lit “Hasta que me maten no me creen” - jusqu’à ce qu’ils me tuent,
on ne me croira pas”.
Les Espagnol.e.s sont sorti.e.s dans la rue. Pour exprimer leur opposition au
verdict. Pour montrer leur soutien à la victime. Pour dénoncer un système de
justice machiste. J’y suis allée avec eux.elles. Je me mets à la place de la
victime : en recevant ce verdict désolant, décevant, humiliant, je me sentirais
totalement détruite et isolée par mon propre gouvernement. En même temps
, je prends conscience de l’absurdité de ce que je suis en train de réclamer :
depuis quand les femmes ont envie qu’une autre ait été violée ? C’est
ahurissant que le viol soit ici la bonne solution - un triste reflet de la situation.
Un des juges s’est même prononcé favorable à ce que le seul verdicte déclaré
soit le vol de son portable. Cela me semble ahurissant. D’ailleurs, qu’est ce que
ça veut dire, “abus sexuel en continu” ? Je n’ai jamais entendu cette
expression auparavant et elle me semble absurde. Abuser sexuellement en continuer, ne serait-ce pas … du viol ? Pourquoi est-ce qu’on continue de donner le bénéfice du doute aux hommes ?
Mais tout simplement parce que c’est inscrit dans la loi.
Dans l’Union Européenne, il y a seulement six pays qui ont une définition du viol basée sur le consentement de la victime. Ni la France ni l’Espagne n’en font partie. Pour les autres pays, la définition est basée sur l’usage ou la menace de la force, l’incapacité de se défendre, la coercition.
Il faut changer ça, maintenant. Pourquoi ? Parce que tant qu’il existe une atmosphère de tabou autour du viol ; parce que tant que ce sont les victimes qui portent la honte ou qui ont peur de ne pas être prises au sérieux, elles n’iront pas déclarer leur viol. Parce que si les médias ne prennent pas les victimes au sérieux, elles seront maltraitées (slutshamed) durant la procédure; ce qui à son tour influence les lecteur.trice.s les plus conservateurs.trice.s à croire que, vraiment, la mini-jupe peut être la cause du viol. Et enfin, parce que si les victimes ne reçoivent pas de justice au tribunal, elles ne pourront pas guérir du traumatisme. Elles devront vivre avec le poids d’un tort qui n’est pas reconnu officiellement toute leur vie. Et bien sûr, les violeurs sont libres de recommencer.
Quelque chiffres de Marie Pierre Rixain (députée LREM à l’Assemblée Nationale, données dans un interview le 23 février) il y a en tout 250 000 victimes de viol par an en France - soit 28 personnes par heure. Soit presque une personne toutes les deux minutes. Ce sont au total 93 000 femmes, 15 000 hommes et 150 000 mineur.e.s. Mais, seulement 9% des victimes portent plainte. (Soit 22 500 pour ceux.celles qui ne peuvent pas le calculer de tête). Et des ces 22 500 plaintes, seulement 1 agresseur sur 10 sera condamné - soit 2 250.
Dans l’idéal il faudrait bien sûr intervenir pour réduire le nombre d’agresseurs, de base, c’est-à-dire avoir un meilleur accompagnement des garçons dans leur éducation sexuelle et s’attaquer à la “culture du viol”. (Bon ça, c’est un autre article). Mais en attendant, il faut que les victimes deviennent la priorité du système judiciaire.
Article rédigé par Elinor Burnard, édité par Julia Ben Abdallah, le 01.05.2018